Article n°2 - Le temps
Une heure représentée par 60 lignes de 60 points, et sous chaque point un carré. Il m’aura fallu un an pour me décider à peindre cette idée sur une toile.
3 600 points posés avec la pointe du pinceau.
Une heure représentée sur cette toile.
Des heures de travail.
Encore un an plus tard, je la vends.
Aujourd’hui je veux reprendre cette idée sur une feuille de papier. Je sais que je vais y passer du temps, un temps que je veux visualiser.
J’achète une petite horloge sur pieds, je la pose sur ma table de travail.
Je regarde l’aiguille passer d’une graduation à l’autre.
Le temps est mesuré.
Je le sens mieux passer, avancer.
De la même manière qu’il faut un anniversaire pour suivre le compte et prendre conscience du temps qui est passé et de celui qui reste.
L’aiguille tourne en rond derrière le plastique transparent. Enfermée dans ce boîtier.
Comme moi dans ma tête ces derniers mois.
Je rumine tout ce que je ne fais pas. Je suis dans une bulle inconfortable, trop étroite.
Mes pensées tournent en rond sans sortir dans la réalité.
J’ai l’impression de stagner. Je deviens angoissée du moindre mouvement, qu’il soit physique, professionnel, social.
Moins je bouge, plus il est difficile de bouger.
Mon esprit se rouille.
L’aiguille tourne en rond, coincée dans sa boucle,
mais le temps passe.
Une seconde après l’autre.
Le temps passé n’existe plus et le temps qui reste ne fait que diminuer.
Coup de pression.
Ce temps est précieux.
Qu’est-ce que je veux en faire ?
Qu’est-ce que je peux en faire ?
Qu’est-ce que j’en fais vraiment ?
Dans 5 jours c’est mon anniversaire.
J’avance à une vitesse qui ne me satisfait pas. Je cours au ralenti comme dans un mauvais rêve.
La société nous incite à définir sans cesse des projets qu’il faut terminer avant la fin de l’année. Les réseaux sociaux nous submergent de profils ultra productifs et des progrès fulgurants de ceux qui font le plus de bruit. On a un mois pour tout changer, deux mois pour préparer un marathon, trois pour devenir la meilleure version de nous-même, quatre pour obtenir la silhouette de nos rêves, cinq pour devenir millionnaire. Parce qu’il faut prouver, qu’on vit des choses intenses, qu’on est capable de faire beaucoup, de dépasser ses limites et son confort en permanence. Toujours plus. Et vite.
La pression que je me mettais à vouloir aller trop vite et trop loin est celle qui m’empêchait d’avancer mieux.
Au fond la question n’est pas : à quelle vitesse j’avance ?
La question est : est-ce que j’apprécie ce que je fais de mon temps ?
Ces derniers mois la réponse est non. J’ai attendu passivement que des situations s’améliorent par magie. J’ai eu la sensation de perdre du temps parce que j’ai attendu sans apprécier l’attente. Pire, j’ai culpabilisé d’attendre, j’ai repoussé les choses que j’aime pour m’isoler dans des addictions diverses.
Alors je change mes pensées et mes comportements.
J’avance vers mes objectifs à une vitesse confortable, en respectant mes valeurs, mes envies et mes besoins.
Je ne cours ni un sprint ni un marathon.
Je cours pour le plaisir.
Je veux passer le temps à regarder le ciel, les montagnes et les passants pour rêver,
à bien dormir pour me reposer,
à manger pour me nourrir et savourer,
à prendre soin de mon environnement,
à activer mon corps et mon esprit,
à avoir cette discussion importante et aussi ces discussions légères,
à me ressourcer de toutes les manières possibles,
et à peindre des milliers de points en ne pensant à rien d’autre.
Le temps passe sans besoin de le remplir d’accomplissement ou d’un programme rigide.
Le temps passe avec la valeur qu’on lui porte.
Il s’apprécie simplement, sincèrement.
En compagnie, en solitaire,
chez soi, dans la nature, ailleurs.
Partout.
Maintenant.
Le 1er juillet 2025
© Koré Kisa